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Nik Marcel (2Language Books)

Thursday 24 October 2013

Sarrasine (French)

Sarrasine
English & French
Facino Cane
English & French
English partly translated anew from French.
Copyright © 2013 Nik Marcel
All rights reserved.
2Language Books
(A Bilingual Dual-Language Project)

Sarrasine

À Monsieur Charles de Bernard du Grail.
J’étais plongé dans une de ces rêveries profondes qui saisissent tout le monde, même un homme frivole, au sein des fêtes les plus tumultueuses.
Minuit venait de sonner à l’horloge de l’Elysée-Bourbon.
Assis dans l’embrasure d’une fenêtre, et caché sous les plis onduleux d’un rideau de moire, je pouvais contempler à mon aise le jardin de l’hôtel où je passais la soirée.
Les arbres, imparfaitement couverts de neige, se détachaient faiblement du fond grisâtre que formait un ciel nuageux, à peine blanchi par la lune.
Vus au sein de cette atmosphère fantastique, ils ressemblaient vaguement à des spectres mal enveloppés de leurs linceuls, image gigantesque de la fameuse Danse des morts.
Puis, en me retournant de l’autre côté, je pouvais admirer la danse des vivants! un salon splendide, aux parois d’argent et d’or, aux lustres étincelants, brillant de bougies.
Là, fourmillaient, s’agitaient et papillonnaient les plus jolies femmes de Paris, les plus riches, les mieux titrées, éclatantes, pompeuses, éblouissantes de diamants! des fleurs sur la tête, sur le sein, dans les cheveux, semées sur les robes, ou en guirlandes à leurs pieds.
C’était de légers frémissements de joie, des pas voluptueux qui faisaient rouler les dentelles, les blondes, la mousseline autour de leurs flancs délicats.
Quelques regards trop vifs perçaient çà et là, éclipsaient les lumières, le feu des diamants, et animaient encore des cœurs trop ardents.
On surprenait aussi des airs de tête significatifs pour les amants, et des attitudes négatives pour les maris.
Les éclats de voix des joueurs, à chaque coup imprévu, le retentissement de l’or se mêlaient à la musique, au murmure des conversations; pour achever d’étourdir cette foule enivrée par tout ce que le monde peut offrir de séductions, une vapeur de parfums et l’ivresse générale agissaient sur les imaginations affolées.
Ainsi à ma droite la sombre et silencieuse image de la mort; à ma gauche, les décentes bacchanales de la vie: ici, la nature froide, morne, en deuil; là, les hommes en joie.
Moi, sur la frontière de ces deux tableaux si disparates, qui, mille fois répétés de diverses manières, rendent Paris la ville la plus amusante du monde et la plus philosophique, je faisais une macédoine morale, moitié plaisante, moitié funèbre.
Du pied gauche je marquais la mesure, et je croyais avoir l’autre dans un cercueil.
Ma jambe était en effet glacée par un de ces vents coulis qui vous gèlent une moitié du corps tandis que l’autre éprouve la chaleur moite des salons, accident assez fréquent au bal.
— Il n’y a pas fort longtemps que monsieur de Lanty possède cet hôtel?
— Si fait. Voici bientôt dix ans que le maréchal de Carigliano le lui a vendu…
— Ah!
— Ces gens-là doivent avoir une fortune immense?
— Mais il le faut bien.
— Quelle fête! Elle est d’un luxe insolent.
— Les croyez-vous aussi riches que le sont monsieur de Nucingen ou monsieur de Gondreville?
— Mais vous ne savez donc pas?
J’avançai la tête et reconnus les deux interlocuteurs pour appartenir à cette gent curieuse qui, à Paris, s’occupe exclusivement des Pourquoi? des Comment?
D’où vient-il?
Qui sont-ils?
Qu’y a-t-il?
Qu’a-t-elle fait?
Ils se mirent à parler bas, et s’éloignèrent pour aller causer plus à l’aise sur quelque canapé solitaire.
Jamais mine plus féconde ne s’était ouverte aux chercheurs de mystères.
Personne ne savait de quel pays venait la famille de Lanty, ni de quel commerce, de quelle spoliation, de quelle piraterie ou de quel héritage provenait une fortune estimée à plusieurs millions.
Tous les membres de cette famille parlaient l’italien, le français, l’espagnol, l’anglais et l’allemand, avec assez de perfection pour faire supposer qu’ils avaient dû longtemps séjourner parmi ces différents peuples.
Étaient-ce des bohémiens? étaient-ce des flibustiers?
— Quand ce serait le diable! disaient de jeunes politiques, ils reçoivent à merveille.
— Le comte de Lanty eût-il dévalisé quelque Casbah, j’épouserais bien sa fille! s’écriait un philosophe.
Qui n’aurait épousé Marianina, jeune fille de seize ans, dont la beauté réalisait les fabuleuses conceptions des poètes orientaux?
Comme la fille du sultan dans le conte de la Lampe merveilleuse, elle aurait dû rester voilée.
Son chant faisait pâlir les talents incomplets des Malibran, des Sontag, des Fodor, chez lesquelles une qualité dominante a toujours exclu la perfection de l’ensemble; tandis que Marianina savait unir au même degré la pureté du son, la sensibilité, la justesse du mouvement et des intonations, l’âme et la science, la correction et le sentiment.
Cette fille était le type de cette poésie secrète, lien commun de tous les arts, et qui fuit toujours ceux qui la cherchent.
Douce et modeste, instruite et spirituelle, rien ne pouvait éclipser Marianina si ce n’était sa mère.
Avez-vous jamais rencontré de ces femmes dont la beauté foudroyante défie les atteintes de l’âge, et qui semblent à trente-six ans plus désirables qu’elles ne devaient l’être quinze ans plus tôt?
Leur visage est une âme passionnée, il étincelle; chaque trait y brille d’intelligence: chaque pore possède un éclat particulier, surtout aux lumières.
Leurs yeux séduisants attirent, refusent, parlent ou se taisent; leur démarche est innocemment savante; leur voix déploie les mélodieuses richesses des tons les plus coquettement doux et tendres.
Fondés sur des comparaisons, leurs éloges caressent l’amour propre le plus chatouilleux.
Un mouvement de leurs sourcils, le moindre jeu de l’œil, leur lèvre qui se fronce, impriment une sorte de terreur à ceux qui font dépendre d’elles leur vie et leur bonheur.
Inexpérience de l’amour et docile au discours, une jeune fille peut se laisser séduire; mais pour ces sortes de femmes, un homme doit savoir, comme monsieur de Jaucourt, ne pas crier quand, en se cachant au fond d’un cabinet, la femme de chambre lui brise deux doigts dans la jointure d’une porte.
Aimer ces puissantes sirènes, n’est-ce pas jouer sa vie?
Et voilà pourquoi peut-être les aimons-nous si passionnément!
Telle était la comtesse de Lanty.
Filippo, frère de Marianina, tenait, comme sa sœur, de la beauté merveilleuse de la comtesse.
Pour tout dire en un mot, ce jeune homme était une image vivante de l’Antinoüs, avec des formes plus grêles.
Mais comme ces maigres et délicates proportions s’allient bien à la jeunesse quand un teint olivâtre, des sourcils vigoureux et le feu d’un œil velouté promettent pour l’avenir des passions mâles, des idées généreuses!
Si Filippo restait, dans tous les cœurs de jeunes filles, comme un type, il demeurait également dans le souvenir de toutes les mères, comme le meilleur parti de France.
La beauté, la fortune, l’esprit, les grâces de ces deux enfants venaient uniquement de leur mère.
Le comte de Lanty était petit, laid et grêlé; sombre comme un Espagnol, ennuyeux comme un banquier.
Il passait d’ailleurs pour un profond politique, peut-être parce qu’il riait rarement, et citait toujours monsieur de Metternich ou Wellington.
Cette mystérieuse famille avait tout l’attrait d’un poème de lord Byron, dont les difficultés étaient traduites d’une manière différente par chaque personne du beau monde: un chant obscur et sublime de strophe en strophe.
La réserve que monsieur et madame de Lanty gardaient sur leur origine, sur leur existence passée et sur leurs relations avec les quatre parties du monde n’eût pas été longtemps un sujet d’étonnement à Paris.
En nul pays peut-être l’axiome de Vespasien n’est mieux compris.
Là, les écus même tachés de sang ou de boue ne trahissent rien et représentent tout.
Pourvu que la haute société sache le chiffre de votre fortune, vous êtes classé parmi les sommes qui vous sont égales, et personne ne vous demande à voir vos parchemins, parce que tout le monde sait combien peu ils coûtent.
Dans une ville où les problèmes sociaux se résolvent par des équations algébriques, les aventuriers ont en leur faveur d’excellentes chances.
En supposant que cette famille eût été bohémienne d’origine, elle était si riche, si attrayante, que la haute société pouvait bien lui pardonner ses petits mystères.
Mais, par malheur, l’histoire énigmatique de la maison Lanty offrait un perpétuel intérêt de curiosité, assez semblable à celui des romans d’Anne Radcliffe.
Les observateurs, ces gens qui tiennent à savoir dans quel magasin vous achetez vos candélabres, ou qui vous demandent le prix du loyer quand votre appartement leur semble beau, avaient remarqué, de loin en loin, au milieu des fêtes, des concerts, des bals, des raouts donnés par la comtesse, l’apparition d’un personnage étrange. C’était un homme.
La première fois qu’il se montra dans l’hôtel, ce fut pendant un concert, où il semblait avoir été attiré vers le salon par la voix enchanteresse de Marianina.
— Depuis un moment, j’ai froid, dit à sa voisine une dame placée près de la porte.
L’inconnu, qui se trouvait près de cette femme, s’en alla.
— Voilà qui est singulier! j’ai chaud, dit cette femme après le départ de l’étranger.
Et vous me taxerez peut-être de folie, mais je ne saurais m’empêcher de penser que mon voisin, ce monsieur vêtu de noir qui vient de partir, causait ce froid.
Bientôt l’exagération naturelle aux gens de la haute société fit naître et accumuler les idées les plus plaisantes, les expressions les plus bizarres, les contes les plus ridicules sur ce personnage mystérieux.
Sans être précisément un vampire, une goule, un homme artificiel, une espèce de Faust ou de Robin des bois, il participait, au dire des gens amis du fantastique, de toutes ces natures anthropomorphes.
Il se rencontrait çà et là des Allemands qui prenaient pour des réalités ces railleries ingénieuses de la médisance parisienne.
L’étranger était simplement un vieillard.
Plusieurs de ces jeunes hommes, habitués à décider, tous les matins, l’avenir de l’Europe, dans quelques phrases élégantes, voulaient voir en l’inconnu quelque grand criminel, possesseur d’immenses richesses.
END OF PREVIEW

Facino Cane

À Louise,
Comme un témoignage d’affectueuse reconnaissance.
Je demeurais alors dans une petite rue que vous ne connaissez sans doute pas, la rue de Lesdiguières:
elle commence à la rue Saint-Antoine, en face d’une fontaine près de la place de la Bastille et débouche dans la rue de La Cerisaie.
L’amour de la science m’avait jeté dans une mansarde où je travaillais pendant la nuit, et je passais le jour dans une bibliothèque voisine.
Je vivais frugalement, j’avais accepté toutes les conditions de la vie monastique, si nécessaire aux travailleurs. Quand il faisait beau, à peine me promenais-je sur le boulevard Bourdon.
Une seule passion m’entraînait en dehors de mes habitudes studieuses; mais n’était-ce pas encore de l’étude? j’allais observer les mœurs du faubourg, ses habitants et leurs caractères.
Aussi mal vêtu que les ouvriers, indifférent au décorum, je ne les mettais point en garde contre moi; je pouvais me mêler à leurs groupes, les voir concluant leurs marchés, et se disputant à l’heure où ils quittent le travail.
Chez moi l’observation était déjà devenue intuitive, elle pénétrait l’âme sans négliger le corps; ou plutôt elle saisissait si bien les détails extérieurs, qu’elle allait sur-le-champ au delà;
elle me donnait la faculté de vivre de la vie de l’individu sur laquelle elle s’exerçait, en me permettant de me substituer à lui comme le derviche des Mille et une Nuits prenait le corps et l’âme des personnes sur lesquelles il prononçait certaines paroles.
Lorsque, entre onze heures et minuit, je rencontrais un ouvrier et sa femme revenant ensemble de l’Ambigu-Comique, je m’amusais à les suivre depuis le boulevard du Pont-aux-Choux jusqu’au boulevard Beaumarchais.
Ces braves gens parlaient d’abord de la pièce qu’ils avaient vue; de fil en aiguille, ils arrivaient à leurs affaires; la mère tirait son enfant par la main, sans écouter ni ses plaintes ni ses demandes; les deux époux comptaient l’argent qui leur serait payé le lendemain, ils le dépensaient de vingt manières différentes.
C’était alors des détails de ménage, des doléances sur le prix excessif des pommes de terre, ou sur la longueur de l’hiver et le renchérissement des mottes, des représentations énergiques sur ce qui était dû au boulanger; enfin des discussions qui s’envenimaient, et où chacun d’eux déployait son caractère en mots pittoresques.
En entendant ces gens, je pouvais épouser leur vie, je me sentais leurs guenilles sur le dos, je marchais les pieds dans leurs souliers percés; leurs désirs, leurs besoins, tout passait dans mon âme, ou mon âme passait dans la leur.
C’était le rêve d’un homme éveillé.
Je m’échauffais avec eux contre les chefs d’atelier qui les tyrannisaient, ou contre les mauvaises pratiques qui les faisaient revenir plusieurs fois sans les payer.
Quitter ses habitudes, devenir un autre que soi par l’ivresse des facultés morales, et jouer ce jeu à volonté, telle était ma distraction.
À quoi dois-je ce don? Est-ce une seconde vue? est-ce une de ces qualités dont l’abus mènerait à la folie?
Je n’ai jamais recherché les causes de cette puissance; je la possède et m’en sers, voilà tout.
Sachez seulement que, dès ce temps, j’avais décomposé les éléments de cette masse hétérogène nommée le peuple, que je l’avais analysée de manière à pouvoir évaluer ses qualités bonnes ou mauvaises.
Je savais déjà de quelle utilité pourrait être ce faubourg, ce séminaire de révolutions qui renferme des héros, des inventeurs, des savants pratiques, des coquins, des scélérats, des vertus et des vices, tous comprimés par la misère, étouffés par la nécessité, noyés dans le vin, usés par les liqueurs fortes.
Vous ne sauriez imaginer combien d’aventures perdues, combien de drames oubliés dans cette ville de douleur! Combien d’horribles et belles choses!
L’imagination n’atteindra jamais au vrai qui s’y cache et que personne ne peut aller découvrir; il faut descendre trop bas pour trouver ces admirables scènes ou tragiques ou comiques, chefs-d’œuvre enfantés par le hasard.
Je ne sais comment j’ai si longtemps gardé sans la dire l’histoire que je vais vous raconter, elle fait partie de ces récits curieux restés dans le sac d’où la mémoire les tire capricieusement comme des numéros de loterie:
j’en ai bien d’autres, aussi singuliers que celui-ci, également enfouis; mais ils auront leur tour, croyez-le.
Un jour ma femme de ménage, la femme d’un ouvrier, vint me prier d’honorer de ma présence la noce d’une de ses sœurs.
Pour vous faire comprendre ce que pouvait être cette noce il faut vous dire que je donnais quarante sous par mois à cette pauvre créature, qui venait tous les matins faire mon lit, nettoyer mes souliers, brosser mes habits, balayer la chambre et préparer mon déjeuner; elle allait pendant le reste du temps tourner la manivelle d’une mécanique, et gagnait à ce dur métier dix sous par jour.

END OF PREVIEW

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